The Code Breakers – un documentaire sur l’utilisation de logiciels libres dans les pays « pauvres »

Récemment la BBC a produit un documentaire sur l’utilisation de logiciels libres dans les pays « pauvres ». J’ajoute les guillemets pour introduire l’essentiel de mon mécontentement en regardant la version en ligne qui a été raccourcie à 40 minutes: « The Codebreakers » insiste un peu trop à mon goût sur l’aspect économique de l’utilisation de logiciels libres, en particulier les coûts de licences. Mais j’ai trouvé d’autres coquilles qui me dérangeaient en regardant ce document.

Malgré tout, je crois que c’est intéressant de voir comment certaines grandes entreprises, producteurs de logiciels, promoteurs de logiciels et surtout utilisateurs parlent de leur expérience. Je suis particulièrement content de voir que le documentaires est publié en utilisant une licence de Creative Commons qui permet son utilisation et diffusion commerciale – je pourrais donc m’en servir dans certains ateliers et projections! Attention aux âmez sensibles, ma critique n’est pas très douillette… Dès le début, après 20 secondes seulement de visionnement, on nous sert bien prête à consommer la notion de « logiciels piratés ». On nous le répète plusieurs fois, que le piratage de logiciels est un fléau, et que les pauvres « pirates » ne veulent en fait que le bien des plus démunis en rendant accessibles les logiciels hors-de-prix pour les habitants de ces pays pauvres qui devraient travailler pendant un mois pour pouvoir accéder légalement ces logiciels.
Cette simplification des enjeux de l’utilisation des technologies et en particulier des logiciels non-libres me semble vraiment irresponsable de la part des producteurs du documentaire, ne serait-ce que par l’utilisation de termes qui prêtent à confusion, tels « piratage ». Sur fond de grande cause humanitaire, on nous invite à croire que la mission des organisations et leaders qui étaient présents au Sommet Mondial sur la Société de l’Information est la même: libérer les pays « pauvres » de l’illégalité.

Tout au long du documentaire on nous présente différents acteurs et promoteurs des logiciels libres, ainsi que des utilisateurs, et les termes « Open Source », « Free Software » ainsi que « Commercial Software » sont utilisés à plusieurs sauces, de manière interchangeable et (apparement) sans trop se préocuper de leur signification. Je crois que c’est important d’utiliser les bons mots pour illustrer les bons concepts. Vous reconnaîtrez le discours de Richard Stallman, fondateur du mouvement pour le logiciel libre. On est obligés de constater qu’il a parfois raison dans sa manie du détail et son souci des définitions.

Une autre coquille assez étrange pour ce type de documentaire m’a particulièrement chatouillé les oreilles: vers les 3 minutes, on nous parle de « Free, unlicensed software ». Comment peut-on avoir omis de spécifier que la liberté des logiciels dont on parle est précisemment le fait qu’on ait pris le temps de créer la licence GPL pour qu’ils ne soient pas « unlicensed » ?

Peu de temps après (3:15) Kenneth Cukier compare les logiciels « Open Source » aux médicaments génériques, en nous disant qu’ils sont moins coûteux ! Je ne suis pas certain de comprendre, à ce jour je n’ai pas vu de médicaments génériques qu’on puisse essayer « sans frais », puis redistribuer, modifier, étudier, etc. Ah! Mr. Cukier est un journaliste de The Economist… jímagine qu’il ne voulait parler que du coût économique de l’utilisation de médicaments génériques… et des logiciels libres. Mélangeant ? À 3:30 du documentaire on nous informe que « pas un sou n’a été payé » pour télécharger des miliiers de logiciels libres d’Internet. Encore une fois, on nous répète le rêve de la gratuité économique. Parlez-en à ceux qui sont sur des connexions Internet payables à l’utilisation. Mes parents en Colombie utilisent la distribution Ubuntu de Gnu/Linux et je peux vous dire qu’un update majeur comme la récente version de Dapper peut leur coûter 80U$ en frais de bande passante s’ils ne font pas attention à l’heure à laquelle ils la font. Au moins ce ne sont pas des update constantes de sécurité et d’OS à tout moment comme quand ils utilisaient Windows. Des projets comme Freedom Toaster sont une solution partielle (car on doit quand même payer les CD ou DVD), par contre des types un peu fous donnent vraiment les CD de logiciels libres.

C’est sans parler des mille et une façons d’obtenir des logiciels non-libres commerciaux tout à fait gratuitement ou presque: ententes académiques, promotions, conférences, formation « incluant » le logiciel, versions OEM incluant le logiciel grâce à la vente liée – savez-vous quel pourcentage du coût d’une caméra numérique sert à payer les logiciels qui viennent avec ?

Si vous lisez encore jusqu’ici, vous penserez que j’ai vraiment commencé ma journée de mauvais poil… mais je trouve quand même que ce documentaire apporte des points intéressants. On y énonce clairement les quatre libertés définissant les logiciels libres (que je me plais aussi à appliquer aux technologies en général), ce qui aide à passer à côté d’autres inexactitudes. Et on apprends aussi que la plupart sinon tous les internautes qui envoient un courriel ou vont naviguer sur le web utilisent des logiciels libres (bon, ils disent « open source »). Quand vous rencontrerez quelqu’un qui vous assure qu’il n’en a jamais utilisé, n’oubliez pas ce détail…

Parmis les projets mentionnés qui ont le plus attiré mon attention:

  • Sahana – Open Source Disaster Management system. It is a web based collaboration tool that addresses the common coordination problems during a disaster from finding missing people, managing aid, managing volunteers, tracking camps effectively between Government groups, the civil society (NGOs) and the victims themselves.
  • Gnu/Linex, la distribution Gnu/Linux du Gouvernement Régonal d’Extremadura, que j’ai découvert début 2004
  • La gestion de la base de données de touristes des Îles Galapagos, un projet réalisé en « PHP Open Source Database software »

Si vous décidez de visionner le documentaire en ligne, je vous invite à le faire en utilisant le format Ogg Theora. Je participe à la rédaction et mise-à-jour de ressources sur ce format sur le site web de FACIL. Ne manquez pas la section Media de FACIL où nous tentons de répertorier d’autres documents audio et vidéo intéressants.

D’autres commentaires sur le documentaire: